Alain Peyrefitte est introduit dans le bureau du général :

Charles de Gaulle: « Alors, lui dit-il, on me dit que vous êtes spécialiste en chinoiseries bruxelloises ? »

Alain Peyrefitte: (Modestement). « Expert, c'est beaucoup dire. J'ai participé à Bruxelles, pendant deux ans, à la négociation des traités de Rome et de leurs règlements d'application ».

CdG: « Après le rejet de la Communauté européenne de défense, les inspirateurs de cette entreprise ont fui comme la peste les mots de « supranationalité » et de « fédéralisme ». Ils ont compris qu'ils couraient à un nouvel échec s'ils y allaient franco. Mais ils n'ont pas changé de convictions. Ils sont bien décidés à établir, comme ils disent, les Etats-Unis d'Europe, avec un super gouvernement fédéral, composé des actuelles commissions, qui surplomberait des gouvernements provinciaux, les actuels gouvernements des Etats, lesquels ne s'occuperaient plus que des questions secondaires ».

AP: « C'est le système Monnet. Il consiste précisément à créer des situations dont on ne peut sortir qu'en accroissant la dose de supranationalité. Chaque difficulté nouvelle nous entraîne dans un engrenage qui pousse un peu plus à l'Etat fédéral et dessaisit un peu plus les gouvernements nationaux ».

CdG: «Cela nous n'en voulons pas ! Cela ne se fera pas ! Ce serait une stupidité ! Des deux traités de Rome, je ne sais pas lequel est le plus dangereux. Le traité sur Euratom est plus qu'inutile, il est nuisible. Je me demande s'il ne faut pas le dénoncer. Et puis, il y a le Marché commun. C'est une union douanière, qui peut nous faire du bien, à condition qu'on réalise le Marché commun agricole, qui n'y est pas institué, et quelques autres politiques communes, qui ne sont même pas esquissées. Mais il comporte aussi des prétentions, ce qu'on appelle ses « virtualités supranationales », qui ne sont pas acceptables pour nous. « Supranationalité » c'est absurde ! Rien n'est au dessus des nations, sinon ce que leurs Etats décident ensemble !
Les prétentions des commissaires de Bruxelles à vouloir donner des ordres aux gouvernements sont dérisoires !
Dérisoires !
Ce sont des billevesées !
Nous n'allons pas nous laisser déposséder de nos pouvoirs ! Nous n'allons pas nous laisser inféoder !
La France ne se confond pas !

Entretiens recueillis par Alain Peyrefitte parus dans « C'était de Gaulle » par Alain Peyrefitte, tôme I.

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