Social
Décret Philippe N° 2017-1820 du 29 décembre 2017
La première condition de la paix sociale est que les pauvres aient le sentiment de leur impuissance. En les submergeant d'impôts et de lois, ils ne peuvent plus réfléchir aux causes de leur misère. Sidérés, ils acceptent leur servitude.
C'est sans doute ce principe qui guide l'actuel gouvernement.
L'article 1er de l'Ordonnance Macron no 2017-1387 du 22 septembre 2017, prévoit l'institution en 2020 d'un « Code du Travail numérique », destiné à faciliter, donc à accélérer les procédures de licenciement du Personnel.
Dans cette attente le décret Philippe N° 2017-1820 du 29 décembre 2017 met à la disposition des justiciables, employeurs et salariés, 6 modèles de lettres types de licenciement pour motif :
- disciplinaire (Annexe 1)
- d'inaptitude d'origine professionnelle ou non professionnelle (Annexe 2)
- personnel non disciplinaire (Annexe 3)
- économique individuel (Annexe 4)
- pour motif économique en cas de petits licenciements collectifs (Annexe 5)
- pour motif économique en cas de grands licenciements collectifs avec mise en place d'un PSE (Plan de Sauvegarde de l'Emploi) (Annexe 6.)
Le titre de la lettre type de licenciement pour motif disciplinaire figurant en Annexe 1 vaut pour faute(s) sérieuse(s), grave(s) ou lourde(s), selon Articles L 1232 – 1 et L 1331 – 1 du Code du travail, ayant l'objet suivant :
On constate ici, que, curieusement, comme c'est le cas dans la loi Macron N° 3017-1510 du 30 octobre 2017, le mot « réelle » est oublié pour qualifier la faute, ainsi que signalé dans un de nos articles.
La réalité et le sérieux d'une cause ne sont pas définies par des textes mais par une volumineuse jurisprudence de la Cour de cassation.
La réalité de la cause est évidemment objective, tandis que son sérieux étant particulièrement subjectif, il ne peut donc en aucun cas être retenu seul pour valider un licenciement.
Par chance, le code du Travail, pour le moment, mentionne encore que la faute doive être « réelle et sérieuse » pour que le licenciement soit valable, mais pour quelle raison le législateur a-t-il omis ce mot indispensable dans le décret ?
2) Seconde curiosité :
Chaque lettre type contient un dernier paragraphe ouvrant la possibilité, à l'initiative du salarié, dans les quinze jours suivant la notification de la lettre de licenciement, ou à celle de l'employeur, d'apporter des précisions sur les motifs de licenciement énoncés, conformément à l'Article L 1235 – 2, nouveau, du Code du Travail :
Cette disposition nouvelle est curieuse car l'émission de la lettre de licenciement doit obligatoirement succéder l'entretien préalable qui constitue une phase essentielle de la procédure de licenciement à laquelle elle est étroitement associée.
Si le législateur entend s'intéresser à des lettres de licenciement type, il doit aussi s'intéresser à la lettre de convocation type à l'entretien préalable car :
- Elle doit décrire les droits du salarié qui doit affronter cette l'épreuve particulièrement douloureuse pour lui et surtout l'employeur doit faire connaître au salarié l'ensemble des griefs retenus contre lui constitutifs du motif (ou des motifs) réel(s) et sérieux justifiant son licenciement, (selon Article L 1232-3 du Code du Travail) afin qu'il puisse en débattre aussi librement et sereinement que possible, ce qui est toujours très difficile et pénible en l'occurrence. Si ce n'est pas le cas, la procédure est irrégulière (Cour de Cassation, Chambre Sociale du 5 février 1992 N° 88 – 43288)
- La lettre de licenciement ne peut, en aucun cas mentionner d'autres griefs constitutifs du motif du licenciement que ceux évoqués lors de l'entretien préalable. (Cour de Cassation, Chambre Sociale du 14 novembre 1985, N° 82 – 42582) et (Cour de Cassation, Chambre Sociale du 30 mars 1994 N° 89 – 43716)
- Un délai de réflexion obligatoire de deux jours doit s'écouler entre la date de l'entretien préalable et la date d'émission de la lettre de licenciement.
- Une irrégularité dans le déroulement de l'ensemble de la procédure liée à l'entretien préalable peut entraîner la condamnation de l'employeur à verser au salarié une indemnité mais n'a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.
L'Article nouveau L. 1235-2 du Code du travail ouvrant à l'employeur le droit de faire connaître les griefs constitutifs du motif du licenciement (pouvant être autres que ceux évoqués lors de l'entretien préalable sans qu'ils soient limitatifs) après l'émission de la lettre de licenciement, peut être considéré comme un abus de droit, car contraire à notre texte fondateur et à la jurisprudence de la Cour de Cassation Chambre Sociale.
Afin de le rendre conforme, cet article devrait être réécrit en faisant référence aux motifs évoqués lors de l'entretien préalable, à l'exception de tout autre.
Le chef de l'Etat gagnerait à être vigilant à ce sujet qui est le coeur de sa fonction, puisque l'Article 5 de notre constitution lui commande de la respecter.
3) Troisième curiosité :
Les 15 jours de délais accordés à l'employeur pour notifier au salarié ses motifs de licenciement et les 15 jours accordée au salarié le salarié y réagir sont ils des jours ouvrés ou calendaires ?
Curieusement, le décret est muet à ce sujet.
4) Quatrième curiosité :
Le délai d'un mois (les deux fois 15 jours mentionnés au décret) est il ou non compris dans les 12 mois permettant au salarié de contester « toute action portant sur la nullité du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture (Articles L 147-1 et L 1235-7 du Code du Travail) » ?
Curieusement, le décret est muet à ce sujet.
5) Remarque importante :
Le droit ouvert par l'Article 1 du décret à l'employeur d'adapter ces lettres types à la nature juridique du licenciement envisagé et aux spécificités propres à la situation du salarié ainsi qu'aux régimes conventionnels et contractuels qui lui sont applicables, ouvre donc ce même droit au salarié de les retourner modifiées afin de les rendre conformes à la teneur de l'entretien préalable notamment.
6) Remède :
Seul le dépôt d'une QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) par toute personne engagée dans un litige du fait de ce décret, est en mesure d'en obtenir la modification pour le mettre en conformité avec notre constitution et la jurisprudence existante.
Bernard CHALUMEAU
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